Coup de cœur

O⁴

de Citizen Sane

Il n'existe aucune boule de cristal ni aucun jeu de cartes en ce monde qui aurait pu prévoir les écarts excentriques du jeune Siegfried l'épouvantail. Et pourtant les faits sont là : Siegfried préféra aux champs de maïs le marathon olympique. Courir : telle était sa joie. Ainsi, à sa majorée majorité – c'est-à-dire, après avoir payé comptant le vin de la jeunesse – Siegfried troqua son chapeau de campagne pour un haut-des-villes, et partit en grande forme à la conquête de son Orange Way indélébile.

Son père et tout le reste de sa famille, en guenilles, étaient à présent rassemblés au seuil de leur chaumière, agitant des mouchoirs pour les uns et des doigts en pagaille pour les autres, accompagnés par toutes sortes de malédictions assassines, en le regardant partir.

Tout jeune déjà Siegfried avait des rêves de grandeur. Tout comme son père, le père de son père et la balle de foin avant lui, Siegfried aurait dû se faire une place parmi les épis de maïs. Se planter là, au milieu de nulle part, et effrayer les corbeaux, ces stupides volatiles, pour le compte d'un humain défroqué qui ne s'en soucie guère. L'humain passerait par là, avec sa faucheuse, et répandrait des étincelles de mort en grattant son allumette sur le visage éteint du pauvre et épouvantable épouvantail.

Solitaire et taciturne, il se serait consacré à la méditation et à la philosophie de l'ermite. Il aurait commencé par anticiper une vie délétère, où la rédemption passe par l'imagination, tandis que le corps serait à l'éternel et lobogarithmique ouvrage. Il aurait continué des siècles durant dans la plus parfaite catatonie asthénique. Il aurait finalement conclu son millénaire de végétation méditative par une pensée suicidaire épiphyte. Ainsi, le cerveau éclos, éclaté, et une fois devenu fétu fripé, il aurait prié les dieux psychopompes pour une mort prompte et salutaire.

Zeus aurait alors abattu sur lui son Éclair.

 

Mais Siegfried l'épouvantail avait pour son compte d'autres projets. Fasciné par ses lectures juvéniles sur l'Empire Achéménide, l'homme de paille voulait devenir l'Ironman. Alors il s'était coupé les ongles à la serpe, avant de chausser des baskets. Trois fois le jour jusqu'à ses dix-huit ans, il avait fait le tour complet du champ, sous le regard mauvais de son père, qui le laissait pourtant faire en espérant seulement que passe la mauvaise graine.

Mais le jour de son anniversaire, l'épouvantail refusa le cadeau ancestral du piquet de bois qui enchaînerait ses jambes de fer. Il dit à son père que son piquet de bois, il pouvait se le mettre au cul trou de balle de foin ; et au lieu de rester planté là, dans son champ à protéger la récolte de la faucheuse, il fit son baluchon et quitta la ferme.

Les autres agitèrent des mouchoirs et des doigts de paille en pagaille.

En chemin Siegfried éprouva un vif sentiment de joie lorsqu'il franchit l'orée du dernier champ, et pénétra en Terra Incognita. Il continua des jours durant de frapper la terre de ses baskets couleur ananas. Il se nourrissait de son jardin, qu'il cultivait sur le haut de sa tête. Mais les chemins de terre devinrent bientôt pavés d'effroi. Il continua de marcher, tête baissée, faisant tomber sur le marbre les restes de son chapeau-potager. Quand le marbre devint bitume, le poids de son tourment sur sa nuque était pareil à une enclume. Et c'est le menton à hauteur du nombril qu'il fit son entrée en ville, où se déroulaient les jeux olympiques.

 

Ouaaaaaaaaaaaaaah (bâillement)

Vous m'en voyez désolé, mais je viens de me réveiller. Mon nom est Ivän McSodom, écrivain à mes heures, et chaque nuit je rêve que je mets le feu aux poudres. Seulement, étant considéré par ma communauté myrmécophile comme le plus grand esprit de ce siècle, j'ai une réputation à tenir. À vernir. Ainsi dans mes rêves mon esprit génial se fait violence, mais le temps que mon subconscient élabore mon moi conscient subséquemment se rendort. Autrement dit je m'éveille, léthargique.

Et si dans myrmécophile il y a phile, il me faut bien vous avouer que ça n'a rien de sexuel. Tout a un rythme, tout est relatif. Il n'y a aucune définition définitive. Il n'y a d'ailleurs aucune définition – ces dernières étant le fondement même de la rationalité – la rationalité étant le fondement même de tout ce qui s'effondre.

Reprenons le tout de façon compréhensible.

Rien ni personne n'aurait pu prévoir les écarts excentriques du jeune Ivän McSodom. Pourtant les faits sont là : Ivän préféra au Monde de Merde une Vie de Rêves. Végéter : telle était sa joie. Ainsi, à sa majorée majorité – c'est-à-dire, après s'être fait violer à maintes reprises répétitives par son père dégénéré – Ivän troqua son chapeau de paille pour un haut-de-forme, et partit à la conquête d'une destinée plus juste et vindicative, à l'égard de la nature humaine versatile, avec le désir ardent comme le buisson d'incruster ça sur les Carnets de Voyage de l'Homme, à l'encre indélébile.

Le vieux et tout le reste de sa famille dégénérée, en guenilles, étaient à présent rassemblés au seuil de leur turne délabrée, agitant les mouchoirs de la honte pour les uns, et le souvenir de nuits enflammées pour l'autre ahuri, qu'il commémora d'un hurlement guttural à l'égard de son fils au séant fuyant – qui n'avait pas trouvé la force de l'emplâtrer dans un mur ou de l'emmurer vivant, tout simplement. Sans juste vengeance, il partit.

Tout jeune déjà Ivän l'épouvantable avait des rêves de grandeur. Tout comme son père, le père de son père et Moïse avant lui, Ivän aurait dû se faire une place parmi les épis de maïs : tous ces humains cultivés sans jachères et plantés là au milieu de nulle part, dans les bureaux ou la suie d'une quelconque entreprise, et effrayés par leurs propres ombres, ces stupides entités inutiles, pour le compte d'un humain défroqué qui ne s'en soucie guère. L'humain passerait par là, avec sa faucheuse, et répandrait des étincelles de mort en remplaçant les vétérans aux doigts endoloris par de la bleusaille manipulable, engagée à bas prix. Il continuerait le viol d'une vie en frottant son jonc de riche contre leurs visages désargentés d'êtres soumis.

Solitaire et taciturne, il se serait consacré au travail à la chaîne et à la philosophie du ménage. Il aurait commencé par une vie mal accompagnée, où la femme et les gosses cannibaliseraient son âme, tandis que le corps serait à l'éternel et lobogarithmique ouvrage. Rien de ce qui précède n'a changé, et pourtant on accède enfin au plein sens de la phrase. Il aurait continué de supporter des années durant son patron et ses enfants dans la plus parfaite indifférence. Il aurait finalement conclu ses quarante ans de végétation méditative par la réalisation d'un acte insipide. Renvoyé, sa femme et ses gosses remariés, il ne lui resterait plus qu'à mourir. Ainsi, le cerveau clos, éclaté, et une fois devenu vieillard fripé, il aurait prié les dieux psychopompes pour une mort prompte et salutaire.

Dieu aurait alors abattu sur lui son Mensonge : foin de Paradis, sinon pour les prêtres qui dépenseront l'argent du Seigneur en quelques missions pédophiles.

 

Mais Ivän l'épouvantable avait pour son compte d'autres projets. Fasciné par ses lectures juvéniles sur la Mythologie Grecque, l'enfant infortuné voulait devenir un Écrivain célèbre. Alors il s’était fait les dents sur quelques glorieux manifestes, et bouffi de philosophie, il s'apprêtait à rajouter la sienne. Trois fois le jour jusqu'à ses dix-huit ans il écrivit sans relâche ses pensées sous le regard confluent de son père, qui espérait là pouvoir atteindre le point de jonction entre la paix de l'esprit et le corps de l'inceste.

Mais le jour de son anniversaire, Ivän McSodom refusa le cadeau ancestral du piquet de bois vassalisant son âme de fer. Il dit à son père que son piquet de bois, il pouvait se le mettre au cul où je pense ; et au lieu de rester planté là, dans cette atmosphère sordide où aucune récolte ne saurait le nourrir, il fit son baluchon et quitta la ferme.

Les autres agitèrent des mouchoirs et des doigts d'honneur en pagaille.

En chemin Ivän éprouva un vif sentiment de joie lorsqu'il franchit la limite de sa plus lointaine exploration, et pénétra en Terra Incognita. Il continua des jours durant de frapper la terre de ses godillots couleur ananas. Il se nourrissait de son jardin, qu'il cultivait sur le haut de sa tête : les bouquins qu'il gardait cachés sous la calotte de son haut-de-forme. Mais les chemins de terre devinrent bientôt pavés d’effroi. Il continua de marcher, tête baissée, faisant tomber sur le marbre les restes de son chapeau-potager : la peine et les soucis lui firent perdre toute philosophie. Quand le marbre devint bitume, le poids de son tourment sur sa nuque était pareil à une enclume : pour pouvoir continuer sa route, il avait été obligé de travailler, perdant ce faisant toutes ses couleurs et sa verve au profit d'une aura terne.

Et c'est le menton à hauteur du nombril qu'il fit sa dernière entrée en ville, où se déroulaient les jeux olympiques. Mais Siegfried l'épouvantail s'était en chemin brûlé les ailes, et c'est en s'ébrouant dans la terre qu'il commença la course, tandis que tous les enfants gâtés, bien bâtis et généreusement nourris, étaient partis en ordonnance gracieuse d'un départ éclair.

 

C'est à ce moment-là que s'opéra le miracle.

Siegfried McSodom, toujours s'ébrouant dans son vomi et dans son sang, lâcha un gloussement de haine qui prit la forme physique d'une boule de poil. Une Paille. Une infime partie de lui-même, qui fut emportée par un vent arrivé en tempête depuis la ligne de départ. Ce vent emporta la paille qui traça sa route en ligne droite. Elle dépassa la rangée des jeunes bourgeois agglutinés dans leurs efforts ; elle s'embrasa à la vue du bandeau d'arrivée.

Ce vent emporta la paille qui emporta la victoire.

L'Histoire de ma Vie – entraperçue dans l'une quelconque de ces boules de cristal...

A présent faisons en sorte que se réalise cette prophétie.

Que se réalise ... la récolte tardive. 

@Copyright 2013 Citizen Sane