Coup de cœur

Le trésor

de Anne VERILLAUD

Tu ne croiras jamais comment j'en suis arrivée là !

Invraisemblable.

Comment on arrive à se mettre dans de telles situations à partir d'un rien.

Quel rien ? Un p'tit dessin ! Un bête petit dessin sur une nappe en papier. Ben oui, ça existe encore. Dans des coins paumés, on trouve encore des bistrots, et même des auberges, avec une nappe en papier, posée sur le vichy rouge pas très net de la nappe en tissu.

Ah, le dessin ? Plutôt une sorte de croquis. Suffisamment bizarre, et peu clair, pour m'intriguer. Quand la soupe est arrivée...

Mais oui, la soupe ! M'interromps pas tout le temps comme ça ! La bonne grosse soupe des familles, traditionnelle dans ce coin de France. Tout simplement.

Donc, quand on m'a servi l'assiette de soupe, j'ai fait bien attention, en poussant l'assiette, à protéger le dessin de tout risque d'éclaboussure. Et puis je me suis dit qu'il y avait plus simple, et j'ai déchiré le bout de nappe où il était. Fallait voir la tête de l'aubergiste ! Choqué, qu'il était ! Mais bon, il n'avait qu'à changer la nappe avant moi. C'est pas fait pour ça, les nappes en papier ?

 

Alors, oui, le dessin. Avec des chiffres et des flèches, comme des distances. Au bout des flèches, des espèces de dessins, un arbre par exemple, et un puits, et une église. Et des mots, mais alors là, quasi indéchiffrables.

T'as pas lu L'île au Trésor, quand t'étais petit ?

Ben moi, ça me l'a tout de suite évoqué. J'ai pensé à un jeu de gosses. Et j'ai eu envie d'essayer. Je crois qu'on reste toujours des enfants. Moi, en tout cas...

Mais il fallait un point de départ.

Bien sûr, qu'il aurait mieux valu déchiffrer les mots ! T'en as de bonnes, toi ! Mais c'était mission impossible. Alors, je me suis dit  On va supposer que l'église, là, c'est celle de ce patelin.

À partir de là, je me suis amusée. La direction ? On dirait qu'on part dos à l'église. La distance ? Peut-être des pas, peut-être même des pas d'enfant. Quinze, ok. Et là, un grand arbre.

Sauf que non. Quinze pas, parking. La nappe ne pouvait quand même pas être si vieille qu'on ait fait le parking depuis. Alors j'essaie cent cinquante. Mais toujours rien. Enfin, si, la boulangerie, mais à moins de confondre pain et pin...

Donc, soit c'est pas des pas, soit c'est une autre église. D'ailleurs, c'est pas l'église, le point de départ. L'église, on y arrive en troisième. En premier, c'est un puits. Et en deuxième, je ne sais pas trop. Un bâtiment ? Avec un coq ? On verra plus tard.

J'ai cherché le puits. Dans le village, il y en avait bien un, mais ça ne collait pas trop. Il était dans la cour d'une maison, et ne ressemblait pas au dessin.

Oui, bien sûr que le dessin pouvait être symbolique. Mais justement, celui que je voyais était le classique, margelle, poulie, seau, alors que sur le dessin il y avait un bâti qui l'enfermait, avec une porte. De toute façon, dans une cour privée, ça n'allait pas.

Bon. J'ai cherché autour du village. Et rien ne prouvait que c'était dans le coin. Suppose le papa, ou la maman, qui dessine ça pour ses gosses, ils se sont arrêtés le temps du repas, le jeu ce sera à destination... n'importe où !

À force aussi de scruter les lettres, j'ai cru reconnaître un V en initiale à côté du puits. Pas loin, il y a Vialonsuc. Pourquoi pas ?

Dix kilomètres quand même, je prends la voiture.

J'ai un peu tourné dans le village, mais j'ai fini par trouver le puits. Il était bon, le dessinateur ! Le puits était exactement celui du dessin, sauf qu'il était couvert de lierre, et dans l'angle très discret d'un pré. Là, le croquis disait vingt. Vers le sud ! C'était ça, la lettre à côté des chiffres ! Pas une unité, une direction. Vingt quoi, on sait pas, mais vers le sud.

J'essaie vingt pas, petits ou grands. Le problème, c'est que je ne comprends pas cet oiseau, un coq ? et ce bâtiment. Mais vingt pas vers le sud, c'est toujours le pré. Avec des vaches qui commencent à me regarder d'un drôle d'air. L'œil torve, je dirais. Je préfère sortir du pré.

Vingt mètres ? C'est presque des pas. Pas vingt kilomètres, quand même ? Je sors ma carte...

Eh bien oui, j'ai une carte ! Plusieurs, même ! Le GPS, c'est bien joli, mais moi j'aime voir l'ensemble de l'itinéraire, et ce qu'il y a autour. Et puis avec la carte, pas de problème de batterie. Vingt kilomètres sud, c'est tout simple, avec une carte.

Je trouve Arpanges, Montorle et Brélac, qui peuvent être la réponse. Vraiment sud, vraiment vingt, je dirais Arpanges, mais honnêtement, le gars qui a dessiné ça, il n'a peut-être pas fait un sud exact. Et vingt kilomètres exactement, non plus.

Je décide quand même d'aller voir Arpanges d'abord. Quand on ne sait pas ce qu'on cherche, c'est compliqué. J'ai rien trouvé. Ni à Arpanges, ni à Montorle, ni à Brélac.

Découragée, je remonte en voiture, et là, d'un coup, je me dis que si c'est vingt kilomètres, c'est peut-être vingt kilomètres au compteur de la voiture, en prenant la route la plus sud.

Je retourne à mon puits – enfin, à côté. Je reprends la route d'Arpanges, la plus sud. À une bifurcation, je prends à gauche, un chemin, parce que c'est lui qui continue le plus au sud. Je surveille le compteur. À vingt pile, j'arrête. Je sors de la voiture, il y a bien un bâtiment pas loin, mais le coq ?

Et soudain, j'entends. Ça glousse, ça caquète ! C'est un poulailler !

Ouf. Alors, mon église ? Si j'en crois le cas du puits, il faudra que le clocher et le porche soient vraiment ceux du dessin. Il faut bien que les enfants les reconnaissent.

C'est là que j'ai enfin réalisé l'absurdité de mon raisonnement. Si c'était pour les enfants, pourquoi le dessin a-t-il été abandonné là ?

J'ai vu l'absurdité, mais ça ne m'a pas arrêtée, malheureusement.

Donc, trente-cinq sud-ouest. Jusqu'ici, c'est assez précis, alors on va voir ça. Trente-cinq kilomètres au sud-ouest, ce pourrait être Villecarle. ­­On va voir le compteur, mais pour la direction, c'est pile-poil.

Voiture. Sud-ouest. Trente-cinq kilomètres. Me voilà à Villecarle. Ah, deux églises : on a réuni deux villages en cours de désertification, ils avaient chacun leur église.

Oh, ok, j'abrège. C'était bien Villecarle, et après j'ai trouvé l'arbre. Un châtaignier pluricentenaire, tout seul dans une clairière. Une beauté à couper le souffle. Rien que pour lui, je ne regrette pas toute cette histoire. Va le voir, il parle, je t'assure. De la beauté, de la sérénité, de l'histoire si brève et si agitée des hommes...

Oui, bon. Tu es tellement pressé ! C'est pourtant lui, l'arbre, qui est le plus intéressant de  l'histoire...

Bref, après l'arbre, c'était 0,9 vers le nord, pas compliqué. Deux croix sur le dessin. Une en signe de multiplication, ça semblait vouloir dire c'est là, et en effet le parcours s'arrêtait là. Et une croix latine, comme pour indiquer un cimetière, ou une tombe.

Pas de cimetière. Pas non plus de tombe classique. Mais ça a l'air fraîchement remué, là. De la terre meuble, nue, au milieu d'une végétation de genêts en fouillis.

Faut vraiment que je sois cruche ! D'une naïveté anormale. Car, oui, j'ai commencé à fouiller. Je ne sais pas ce que je croyais trouver. Des traces d'une sépulture wisigothe ? Mais pourquoi fraîchement remuée, alors ? Ou un trésor pour enfants ? J'avais pourtant compris que ça, c'était pas possible.

Vraiment je ne sais pas.

Il y avait une pelle, laissée là, bizarrement, par terre. Je l'ai prise, et j'ai pelleté. Oh, pas longtemps. Je suis tombée sur du tissu. Apparemment, un vêtement. Sur un corps. Je me suis figée. Tu me connais, je ne suis pas du genre à crier.

Deuxième bêtise, dans l'affolement, j'ai commencé à reboucher. La nuit tombait maintenant, ça m'avait pris du temps, ces recherches. Je tremblais, je me demandais si j'irais voir la police, mon rebouchage prenait du temps, lui aussi, je tremblais tellement que la terre tombait de la pelle.

Là-dessus, j'entends arriver des voitures de police, sirènes et tout.

Troisième bêtise, je lâche tout et je pars en courant, dos à ma voiture puisque c'est là que s'arrête la police.

Bon, ben tu connais la suite.

Mon plan, je l'ai lâché, ils ne l'ont pas retrouvé. Mais mes empreintes sur la pelle, oui, ils les ont trouvées ! Mon histoire est trop invraisemblable, personne ne peut la croire. Toi, j'espère...

Et qui les a appelés ? Le vrai coupable a trouvé en moi le cave de service, comme on disait du temps de Gabin. La cruche idéale.

Mon petit plan, à mon avis c'est lui, le coupable, qui l'a ramassé et caché. Ce qui voudrait dire qu'il était avec eux. Ou l'un d'eux ?

Voilà. Tu sais tout.

Tu reviendras ?

Merci pour les oranges, en tout cas.

Mais... c'est mon plan ! Pourquoi c'est toi qui l'as ?

« Gardien ! Gardien ! »

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