Premier prix

L'observateur Znorgn

de Laurier CÔTÉ

Rapport de l’observateur Znorgn sur Mnorzak. 

Deuxième mission. Troisième jour, temps local. 

Mon camouflage est toujours aussi efficace. Le choix des spécialistes s’est avéré judicieux. Cet objet décoratif des Mniosks n’éveille pas les soupçons, pas plus que lors de ma première mission, puisqu’on le voit partout sur le bord de leurs voies de transport. Mes atomes se sont parfaitement intégrés à la structure. Je me suis rapidement habitué à sa petite taille et à la température de son métal. Je suis content d’être revenu sur Mnorzak

J’ai écouté leurs conversations téléphoniques, leurs émissions radio, regardé leurs émissions télévisuelles, observé leurs transmissions sur ce qu’ils appellent « Internet », et je suis perplexe. Je ne parviens pas à y trouver du sens. Qu’est-ce que c’est que ce Super Bowl ? Cela semble être d’un prodigieux intérêt. Leurs téléromans et reality shows me mystifient : ils se regardent vivre et trouvent cela intéressant. Pendant ce temps-là, il y a des millions de caméras qui les observent, dans leurs rues, dans leurs habitations, partout. Je ne comprends pas.

Sur « Internet », leurs « réseaux sociaux » sont un indescriptible magma d’incohérences et d’inepties. Ils passent leur temps à se bombarder d’insultes, à afficher d’insipides vidéos de quadrupèdes, à transmettre de fausses informations ou des photos de ce qu’ils mangent ou vont manger. 

Des quadrupèdes à longs poils, ces Bors qui pullulent dans cette région, sont constamment en train de m’arroser de leurs déchets digestifs, fortement nauséabonds et corrosifs. J’ignore pourquoi les Mniosks les laissent faire en toute impunité.

Hier, j’ai failli être heurté par l’un de leurs primitifs véhicules, mais il s’est arrêté à temps. J’ai dû supporter, pendant plus d’une heure – autre mesure de temps local – les gaz toxiques qui étaient éjectés de l’engin par un tube à l’arrière. Ces gaz s’échappent d’ailleurs de tous leurs véhicules et sont les résidus d’une combustion partielle qui les propulse. Ils n’accordent aucune attention à cette déficience de combustion, même s’il est évident, selon mes observations, que ces gaz sont incompatibles avec leur système respiratoire et incommodent fortement leur métabolisme. Chose encore plus curieuse, ils en produisent eux-mêmes en expirant, et en aspirent abondamment à l’aide de petits tubes qu’ils laissent brûler dans leurs orifices buccaux. J’ai décelé, dans ce mélange de gaz divers qu’ils respirent, des milliards de microbes que mes banques de données ne parviennent pas à identifier : ils sont donc exclusivement locaux, et nous ne savons rien d’eux. Effrayant…

 

J’espère que la transmission est bonne ? J’ai eu beaucoup de difficulté à établir le contact car leur espace est engorgé d’ondes, j’en détecte plusieurs formes dans un incroyable fouillis de fréquences multiples. Mes récepteurs sont surchargés. Je baigne dans une mer d’ondes sonores, de bruits intenses, de sons envahissants, d’infrasons, d’ultrasons, d’ondes électromagnétiques, radio et d’intenses micro-ondes. Il y a aussi une multitude d’ondes de chocs produits par leurs nombreux véhicules volants qui font aussi un bruit d’enfer lorsqu’ils passent au-dessus de moi. Sans parler du terrifiant tintamarre que produisent ces innombrables véhicules qui passent non loin de moi.     

 Ils doivent faire subir d’irrémédiables dommages à leurs cerveaux, qui sont si incroyablement sous-développés – par rapport à ce qu’ils devraient être – selon ce qu’on en a appris lors de nos dissections. Ce foisonnement d’ondes, ajoutées à celles qui proviennent de leur soleil et des astres environnants, doit sûrement produire de graves lésions et maladies que nous n’avons pas encore décelées chez les spécimens que nous avons disséqués.

J’ai compris qu’ils ont fait exploser et stockent de nombreux dispositifs qui utilisent l’énergie nucléaire et ont même des centaines de centrales nucléaires un peu partout sur leur planète. J’ai mesuré le niveau des radiations dans l’environnement où je suis et il est 100 fois plus élevé que celui qui est considéré comme « normal » chez nous. Les Mniosks sont-ils résistants aux radiations ou de parfaits imbéciles ? Je pencherais plutôt pour la deuxième possibilité. 

Ces découvertes sont inquiétantes. Je suggère qu’on pousse plus loin notre programme de dissection, avec quelques spécimens supplémentaires qui seraient prélevés dans des zones possédant les plus hauts niveaux de radiations, d’émissions d’ondes et ayant une présence élevée de microbes et de gaz toxiques dans l’oxygène.

On devra me soumettre à de sérieux examens physiologiques lors de mon retour. Qui sait ce que je ramènerai de cet environnement. Peut-être qu’on devrait me rapatrier plus tôt que prévu ? Fin de la transmission.

 

Rapport de l’observateur Znorgn, sur Mnorzak. 

Quatrième jour, temps local.

Les Mniosks sont inconscients des dangers qui les entourent, ou ils s’en moquent. Toutes ces choses terribles qu’ils créent avec insouciance, ces dommages qu’ils causent à leurs corps et à leur environnement, jadis si riche, si pur, si chnoutzkééen ! J’utilise ici un terme typique de chez nous pour qu’on me comprenne bien. 

Ils ne se protègent pas ! Ils vivent avec tous ces effrayants dangers qui les entourent, sans même songer à se protéger ! Leur niveau d’inconscience et de témérité est incroyable. Ils s’enferment dans leurs véhicules qui sont des petites cabines de métal, sans contrôle sécuritaire, sans système d’autoguidage, et sans protéger leurs corps, se propulsent à des vitesses fulgurantes, quand on songe à la barbarie des moyens utilisés. Je ne l’aurais jamais cru si je ne l’avais vu de mes propres antennes.

Ils prennent des risques complètement déraisonnables en poussant le raffinement de leur inconscience à l’extrême limite par leurs tâtonnements puérils et dangereux dans les domaines atomiques, génétiques, chimiques, là où nous avons pris des mesures optimales de sécurité depuis des millénaires. Ils avancent en aveugles dans ces domaines.

Nulle part dans l’univers connu n’est apparu un tel niveau d’imbécilité aussi généralisée. En plus de s’empoisonner les uns les autres, selon ce que j’ai pu entendre et voir des informations qu’ils diffusent intensivement et répètent jour et nuit sur tous leurs canaux de diffusion, ils s’entretuent de diverses façons et se font encore la guerre entre eux. Les Mniosks sont d’une stupéfiante agressivité et possèdent des armes abominables, dont d’importants arsenaux de dispositifs nucléaires. 

Les Mniosks sont tellement dangereux que je crois que nous ne devrions pas les envahir. Il faudrait plutôt les laisser s’autodétruire, ce qui, selon ce que j’ai pu observer jusqu’à présent, ne devrait pas tarder. Nous n’aurons ensuite qu’à décontaminer la planète avant de l’occuper puisqu’il n’y aura plus rien de vivant ici.

Suite à mes observations, je suggère que des mesures de protection  soient immédiatement envisagées pour protéger cette partie de la galaxie onze-vingt-huit delta, que ces créatures risquent de faire exploser d’un moment à l’autre. Il ne faut pas perdre de vue le danger permanent que représente cette planète pour certaines galaxies limitrophes où nous avons des projets expansionnistes. Je crois que des écrans multiphasiques de réfraction omnidirectionnelle, installés dans les secteurs critiques seraient suffisants, mais je laisse naturellement cette décision entre les tentacules des autorités compétentes.

Maintenant, je demande la permission de rentrer, je vais attendre votre réponse. Je termine ce rapport en appuyant fortement sur… Un instant ! Il se passe quelque chose d’inhabituel… Je ne comprends pas… Les Mniosks sont agités, ils montrent des signes de panique… Un énorme engin, plus gros que ceux que j’ai pu observer jusqu’à présent, vient d’arriver à une vitesse folle, dans un vacarme insoutenable pour mes antennes ! Il s’est arrêté très très près de moi ! Je vois des flammes dans un édifice, derrière moi… Qu’est-ce qui se passe ? Ils me regardent ! Je suis découvert ! Ils me pointent de leurs… Un Mniosk fait irruption à côté de moi ! Il est armé d’un objet métallique ! Je suis perdu ! Il m’attaque en m’empoignant la tête ! Je résiste ! Ahhhh ! Je lutte, mais je n’en ai plus pour longtemps ! Il est trop fort ! Il me tord le cou ! Ahhhh !...

 

À plusieurs millions d’années-lumière de cet endroit, la consternation est générale. Les supérieurs immédiats de l’observateur Znorgn font écouter les derniers moments de sa transmission à leur Haut Conseil.

On décide sur le champ d’appliquer les suggestions de l’observateur Znorgn de ne pas envahir Mnorzak, de laisser cette planète s’autodétruire et de mettre en place des écrans de protection appropriés pour protéger les galaxies limitrophes que l’on va tôt ou tard envahir. 

Pendant ce temps-là, ailleurs, un pompier se rend rapidement compte que la borne-fontaine qu’il veut utiliser ne fonctionne pas, et fait signe à ses camarades d’en chercher une autre à proximité.

@Copyright 2022 Laurier CÔTÉ